La frairie des ronces
Les ronces entourent, en Limousin, presque tous les couderts de nos villages.Les couderts sont les vergers où l'on met les porcs.
Là, ils fouissent, broutent se vautrent dans une flaque d'eau boueuse, puis se frottent contre les arbres noueux, pique une course folle autour de leur domaine; mais ils ont garde de se sauver à travers la haie tombante du coudert ;les épines piquent cruellement ceux qui ont des velléités d'indépendance.
Au milieu de mai, les ronces triomphent comme murs impénétrables. On les voit se lancer droites, flexibles, à l'assaut de l'ancienne haie d'aubépine. Elles se balancent gracieusement quelque temps, puis courbées vers terre par une rafale, elle s'agrippent et se fixe alors solidement dans le sol. Un nouveau jet essaye de regarder le ciel, mais on ne sait par quelle force invincible, il est encore courbé et fixé en bas Cela ne les empêche pas de vivre et d'envahir. Or, tant qu'elles n'ont pas trop empiété sur le terrain du verger et qu'elles se sont contentées de retomber sur le fossé de la route ou dans un chemin étroit on les laisse vivre et on les protège … Car vous savez que certaines personnes ont le MAUVAIS ŒIL. Ce sont des jalouses, des envieuses ou simplement des gens comme ça … c'est- à- dire des gens qui portent malheur sans le savoir, comme d'autres transportent des microbes sans s'en douter. Si les gens qui ont le mauvais œil regardent vos petits cochons d'un peu trop près, les pauvres bêtes crèvent infailliblement. S'ils examinent les gros qu'ont, veux engraisser ceux-ci se nouent, c'est-à-dire s'arrêtent de grossir et dépérissent rapidement.
On ne peut pourtant pas garder constamment ces bêtes à l'étable pour empêcher le mauvais œil de les voir. Alors les ronces sont là comme un
rempart protecteur. Leur fouillis épais et inextricable piquent ceux qui se perchent sur le rebord du fossé pour regarder les porcs ou peut-être pour attraper quelques fruits. On a vu des ronces qui se lancent brusquement et labourent la figure des curieux. !
Elles servent aussi à faire des PALISSOUS ces corbeilles où l'on met la pâte à pain pour la faire lever.
Et les enfants et les grands qui se régalent de leurs fruits et la bonne liqueur qu'on prépare en mélangeant le jus des mûres avec de la tisane de violettes très sucrée et de l'eau-de-vie de prunes, vous comprendriez pourquoi IL EXISTE EN LIMOUSIN UNE FRAIRIE DES RONCES.
Tous les ans donc, au mois de mai, on se réunit dans la grande Châtaigneraie des Farges. Les cafetiers installent des planches sur de forts tréteaux, les marchands de gâteaux offrent leurs marchandises dans des paniers et une grosse bonne femme habillée de rouge vend des cierges et des chapelets.
Les rites consistent à adorer ou implorer une source entourée de
ronces. On y jette des baguettes de coudrier, des ronces débarrassées de leurs piquants, on allume des cierges au bord de l'eau sourçante et l'on dit presque bas : Rhumatismes, rhumatismes allez-vous en pour longtemps !
PITAS ROUNDIS PIQUA LOU PER LOU FA SAUVA .Puis on monte sur un mamelon qui est en amont de la source et l'on en fait neuf fois le tour en disant encore PITAS ROUNDIS , PIQUA LOU PER ME PRESERVA. On jette alors neuf bourgeons de ronce dans l'eau courante au-dessous de la source et l'on est guéri pour toute l'année.
Je ne sais pas pourquoi il faut lancer dans l'eau neuf têtes de ronces mais je sais d'après ma grand-mère que neuf têtes de cette plante, bouillis dans un litre d'eau et sucrés de miel frais enlèvent infailliblement les maux de gorge.
Honneur aux ronces.
Cette Frairie avait lieu au mois de mai dans une châtaigneraie entre Saint Léonard de Noblat, Sauviat et le Châtenet- en-Dognon (Haute-Vienne).
Le village où se trouvait la Châtaigneraie se nommait Les Farges.
Daniel LAFOREST