Mon enfance à Saint-Sulpice-Laurière (3ème partie)
Jean-Baptiste Bidaud et son épouse Elisa née Faure
Ma famille paternelle
Mon grand-père, Jean-Baptiste Bidaud, est né en 1867. Il est mort en 1941. Il s'est marié avec Elisa Faure, née elle aussi en 1867. Elle est morte en 1948. L'un avait 71 ans l'autre 78 ans.
Ils étaient agriculteurs à Saint-Priest Taurion, jolie petite bourgade sur le Taurion aux eaux claires et tumultueuses, poissonneuses à souhait, où régnaient en abondance des saumons frétillants. Il était dit dans les contrats de travail des ouvriers agricoles qu'on ne pourrait à la ferme servir plus de trois fois du saumon par semaine. Les temps ont bien changé.
St Priest-Taurion, commune natale de Jean-Baptiste Bidaud
Grand-père était grand et sec. Il avait de superbes moustaches qu'il entretenait avec soin et qui me chatouillaient quand il m'embrassait. Il était toujours enveloppé dans un grand tablier bleu de jardinier muni d'une grande poche où des sécateurs et autres outils de jardinage s'emmêlaient avec des tresses de raphia et des paquets de graines. C'était un fin jardinier et les cultures potagères et fleuristes n'avaient pas de secret pour lui.
Ma grand-mère était petite, toute ronde, avec des jupes noires tombant jusqu'à ses chevilles. Un grand tablier de satinette lui enserrait la taille. Je l'ai toujours connu avec une coiffe en foulard qu'elle savait fort bien disposer sur la tête comme un petit chapeau. Elle s'occupait surtout de sa maison, elle était fine cuisinière et pâtissière. Mais elle était moins familière et moins agréable que grand-père.
Je ne les ai connus qu'à Saint-Sulpice quand grand-père a quitté Saint-Priest. Il a fait des travaux de jardinage chez les particuliers.
Quand il passait devant la maison, il avait toujours un fruit ou un gâteau dans sa poche. Et Yvonne qui avait deux ans à l'époque en le voyant arriver lui criait « An père tu m'as porté qué que chose ? » Elle ne savait pas encore dire grand-père.
Grand père savait lire et écrire et compter. Ma grand-mère lisait péniblement. Par contre elle faisait une délicieuse cuisine, d'instinct, une cuisine toute simple et naturelle. Patiemment, lentement, elle avait recueilli de ses ancêtres les tours de main, les dosages, les temps de cuisson, et elle goûtait inlassablement en soufflant sur la cuillère pour ne pas se brûler, pour ajouter un soupçon de poivre, une pointe d'ail, une larme d'huile jusqu'à la perfection, la perfection du goût. Et elle nous régalait avec ses tartes à pâte gonflée.
Entre eux, grand-père et grand-mère parlaient uniquement patois et leur français était souvent jalonné de mots du terroir.
Mais le patois reprenait souvent le dessus dans leurs grosses discussions ou colères : « Noum dé di dé noum dé di » et quand tout allait plus mal, c'était : « Té dé di dé fé dé di ».
Je revois surtout grand-père buvant avidement son Chabrol (vin rouge dans l'assiette en forme de calotte qui contient encore un peu de soupe) à même l'assiette prise à deux mains.
Après avoir bu, d'un revers de main de droite à gauche, il essuyait le plus gros et suçait longuement ses moustaches pour ne rien laisser perdre.
Je garde de mes grands-parents un souvenir attendri. Ils ont eu deux enfants. Mon père Jean-Baptiste né le 15 août 1889 et ma tante Noémie née en 1891, tous les deux à Saint-Priest Taurion.
Ma famille maternelle
Le père de maman s'appelait François Arnaud, agriculteur, né en 1869 au Cars de Chalus.
La mère de maman s'appelait à Adolphine Auchâtraire, né en 1871 à la Besassade (commune de Laurière).
Ils ont eu six enfants : maman en 1894, Chéri en 1896, Léonide née en 1898 (décédée à 6 mois), Albert en 1900, Adeline en 1902, Adrien en 1905.
Apparemment, ils vivaient aisément. Ils ont à eux deux bâti une petite maison à étage : deux pièces en bas et deux pièces en haut.
Alors, le grand malheur est arrivé. Mon grand-père s'est tué en tombant d'une voiture à cheval à 35 ans. L'aînée, maman, avait 11 ans, le plus jeune Adrien avait cinq mois.
Alors, la vie de la famille a basculé dans la pauvreté et la détresse. Mémé a fini seule de construire la maison. Elle s'est placée dans les fermes. Elle faisait aussi des lessives pour les particuliers même par les hivers rigoureux où il fallait casser la glace pour trouver l'eau. On appelait cela « aller à la pierre ». Elle est devenue dure pour elle-même et ses enfants. L'aînée, maman, en a beaucoup pâti, car à 11 ans elle devait s'occuper pendant l'absence de mémé de ses frères et sœurs. Il lui arrivait de s'échapper tôt le matin ses sabots à la main pour ne pas faire de bruit pour filer à l'école dont elle était privée. L'institutrice compatissante la gardait à midi lui donnait à manger. Mais le soir en rentrant Mémé l'attendait et elle était sévèrement punie. C'est pourtant grâce à cela que maman a pu apprendre à lire à écrire et à compter. Puis les aînés furent placés pour rapporter quelques sous. Maman allait garder les vaches ou les moutons sur les flancs des collines roses de bruyère.
Sa malheureuse rencontre avec le loup : un jour malgré les chiens et maman frappant ses sabots de bois glissés dans ses mains l'un contre l'autre pour effrayer la bête grise il lui emporta tout de même un mouton. Heureusement le propriétaire n'exigeât pas le prix de la bête perdue.
Mémé toujours dehors devint une femme de la nature. Elle n'aimait pas être enfermée et faisait dans la maison le strict nécessaire.
Toute sa couvée grandit, se maria. Elle se retrouva seule. Mais tous venaient souvent la voir et l'aidaient suivant leurs possibilités.
Mémé quand je l'ai connue était toujours habillée de gris ou de noir. Comme mon autre grand-mère, un tablier de cette satinette noire avec de grandes poches lui enserraient la taille. Ses longs cheveux gris étaient bien tirés en arrière pour former un gros chignon. Derrière sa maison, elle avait un grand jardin potager ou de nombreux arbres fruitiers s'épanouissaient. Pêches jaunes et blanches, cerises, pommes lettres au goût de banane, prunes Reine Claude, poires Williams et même une treille de raisin Chasselas nous attiraient souvent. Le long des allées, foisonnaient des fraises des bois, des groseilliers aux fruits blancs ou rouges et des groseilliers à maquereaux, dont les gros fruits duveteux nous éclataient dans la bouche.
Mémé n'était pas avare de ses trésors. Elle nous ouvrait la porte de ce paradis en nous disant « allez, picorez, petits moineaux ».
Devant chez elle, elle avait une petite parcelle de l'autre côté de la rue où elle cultivait beaucoup de fleurs qu'elle adorait. Ce lopin était un vrai concert de couleurs et d'odeurs. Elle élevait quelques poules et quelque lapins. Mais surtout, je l'ai toujours connu avec une chèvre qu'elle promenait le long des sentiers où la bête capricieuse choisissait sa nourriture. Et quel lait elle donnait ! Mousseux, crémeux, un peu amer, mais qui faisait nos délices, surtout tiède juste tiré. Après la dégustation, nous avions de magnifiques moustaches blanches.
Mémé vivait dans une maison où il n'y avait pas de confort. Elle allait chercher l'eau avec un seau à la pompe de la boulangerie près de chez elle et elle s'éclairait avec une lampe à pétrole. Sa maison avait deux pièces à l'étage où vivaient Tante Adeline son mari Julien et leur fils Roger.
Mémé habitait en bas dans les deux autres pièces : une chambre pour les visiteurs, une seule pièce lui suffisait. Une commode une table un lit avec un gros édredon gonflant et une cuisinière.
Tout cela suffisait à son bonheur. C'était la seule pièce chauffée.
Je me souviens des frissons qui nous prenaient dans l'autre chambre, quand nous allions la voir après notre mariage, en nous glissant dans un lit humide et glacial.
Mémé avait un caractère un peu rude forgé par sa vie difficile et ses chagrins (2 décès de ses enfants). Mais elle nous aimait bien et nous gâtait à la mesure de ses possibilités.
Elle s'est éteinte à 96 ans chez Yvonne à Brive où vivait également maman. J'ai oublié de signaler qu'elle était une grande lectrice et qu'elle passait ses journées à lire des romans.